Le modèle de l’économie « linéaire », dans lequel les modes de production de biens utilisent les ressources naturelles pour les transformer en produits de consommation à durée de vie limitée qui sont au final « jetés », s’est développé à partir des deux premières révolutions industrielles des 18e et 19e siècles. Il s’est ensuite généralisé avec l’avènement de la société de consommation après la seconde guerre mondiale puis l’accélération de la mondialisation à partir de la fin des années 1980. Si ce modèle économique s’est révélé très efficace pour accroître les niveaux de vie d’une grande partie de la population mondiale, il est aussi tenu responsable de l’apparition des deux problèmes majeurs que sont la raréfaction des ressources naturelles et la pollution de l’environnement.
Le caractère non durable de l’économie linéaire, dénoncé dès la fin des années 1960 avec la création du club de Rome[1], a débouché sur la recherche de solutions permettant de concilier croissance économique, préservation des ressources naturelles et respect de l’environnement. Dans ce contexte, la notion de « développement durable » est apparue au cours des années 1990. Elle insiste sur le fait que le développement se doit de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. L’économie « circulaire » s’inscrit pleinement dans ce cadre puisqu’elle désigne un modèle économique dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et les gaspillages de ressources ainsi que la production de déchets.
Dès lors, la généralisation des solutions proposées par l’économie circulaire peut apparaître comme une réponse pertinente pour lutter contre la pression exercée sur les ressources naturelles et la production de gaz à effet de serre. C’est pourquoi l’Union européenne ainsi que de nombreux pays ont adopté des mesures en faveur de son développement. Toutefois, plusieurs contraintes économiques, techniques ou technologiques limitent son essor.
Le modèle de l’économie circulaire constitue a priori une réponse pertinente pour lutter contre la raréfaction des ressources et le réchauffement climatique.
Le modèle de l’économie circulaire repose sur la création de boucles d’utilisation et de réutilisation de la matière ou du produit avant sa destruction finale. Il met l’accent sur de nouveaux modes de conception, de production et de consommation, notamment à travers le prolongement de la durée d’usage des produits, l’usage et le partage plutôt que la possession de bien, la réutilisation et le recyclage des composants.
Dans ce cadre, la gestion des déchets ne se réduit plus à une conséquence du modèle de production comme cela est le cas de l’économie linéaire. L’optimisation de l’utilisation des ressources par une conception pensée en amont transforme la gestion des déchets en une simple étape de la boucle utilisation/réutilisation de la matière. En clair, tout produit ou service doit être pensé d’emblée avec l’idée de limiter les impacts sur l’environnement.
Source : Ademe
Plusieurs études ont montré que la généralisation de ce modèle circulaire, en lieu et place du modèle linéaire actuellement dominant, permettrait de réduire de manière substantielle la pression exercée par l’activité économique sur les ressources naturelles et sur le réchauffement climatique. Un rapport publié en janvier 2018 par le Think Tank néerlandais Circle Economy (The Circularity Gap Report) estime ainsi à 28% la baisse de la consommation de ressources que le passage à une économie entièrement circularisée permettrait de réaliser par rapport au modèle d’économie linéaire. Le rapport considère par ailleurs qu’une gestion efficace des ressources naturelles pourrait réduire de 72% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à la situation actuelle.
Les Nations Unies, dans le rapport « Resource efficiency : potential and economic implications » publié en mars 2017, arrivent à une conclusion identique. Le rapport indique en effet que l’adoption de mesures en faveur d’une gestion efficace des ressources se traduirait d’ici 2050 par une diminution de près de 28% de l’utilisation des ressources naturelles mondiales. En outre, cette gestion plus efficace des ressources naturelles permettrait aux générations futures de retirer des effets économiques tels qu’ils compenseraient les coûts associés aux actions nécessaires pour maintenir la hausse moyenne des températures mondiales en dessous de 2 degrés Celsius d’ici 2050.
Un autre rapport du programme pour l’environnement des Nations-Unies datant de 2013 (Environmental Risks and Challenges of Anthropogenic Metals Flows and Cycles) montre par ailleurs que le recyclage des métaux nécessite une consommation d’énergie beaucoup moins importante que la production primaire (i.e. par extraction) du fait d’un moindre nombre d’étapes dans les processus et d’une concentration de quantité de métal bien supérieure dans les déchets que dans les minéraux naturels. Pour une quinzaine de métaux fortement utilisés, le rapport avance des économies d’énergie du fait du recyclage allant de 60/75% pour l’acier à plus de 90% pour l’aluminium (98% pour l’or et 96% pour l’argent).
Ces données apparaissent d’autant plus crédibles qu’elles sont cohérentes avec des estimations effectuées par ailleurs sur les impacts environnementaux et économiques de démarches inspirées de l’économie circulaire. Par exemple, en France, dans son bilan national du recyclage, l’Agence de l’Environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) montre que sur l’année 2014, les principales filières du recyclage ont permis l’économie en énergie primaire de l’équivalent de la consommation électrique des foyers français, soit environ 160 TWh, et qu’elles ont conduit à éviter le rejet de 20 millions de tonnes d’équivalent de CO² dans l’atmosphère.
A l’issue d’une expérimentation conduite auprès d’une cinquantaine de PME, l’ADEME a en outre estimé à 1 milliard d’euros l’économie annuelle que pourrait générer l’optimisation des flux de ressources et d’énergie de l’ensemble des PME françaises. Au Royaume-Uni, un programme de recyclage ou de réutilisation d’ordures a permis d’économiser entre 2005 et 2010 près de 10 millions de tonnes de matières premières ainsi que l’émission d’environ 6 millions de tonnes de dioxyde de carbone selon le rapport des Nations-Unies.
L’union européenne ainsi que de nombreux autres pays ont adopté des plans d’action en faveur de l’économie circulaire
Déjà engagée depuis les années 1970 dans une démarche dans le domaine de la protection de l’environnement, la Commission européenne a proposé en décembre 2015 la mise en œuvre d’un plan d’action visant à favoriser la transition de l’Union vers une économie circulaire. Ce plan d’action prévoit 54 mesures à déployer au cours des années 2016-2018 sur les différents thèmes liés à l’économie circulaire (notamment la définition d’objectifs et d’actions de prévention et de gestion des déchets, la mise en place d’une stratégie européenne sur les déchets plastiques ou la lutte contre le gaspillage alimentaire) ainsi que le soutien financier des fonds structurels et d’investissement européens, du fonds européen pour les investissements stratégiques et du programme LIFE dédié aux projets dans les domaines environnementaux et climatiques. Sur la période 2016-2020, ce plan d’action européen aura permis de mobiliser plus de 10 milliards d’euros de financements publics en faveur de l’économie circulaire.
La France a également défini une politique de développement de l’économie circulaire. Celle-ci figure comme un objectif national dans la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et une feuille de route, publiée en avril 2018, propose des mesures concrètes destinées à atteindre les objectifs fixés dans la loi. Ainsi, la consommation française de ressources naturelles rapportée au PIB devra diminuer de 30% d’ici 2030 par rapport à 2010. En outre, 100% du plastique devra être recyclé en 2025 et ce recyclage devra permettre d’économiser 8 millions de tonnes de CO² chaque année.
De nombreux autres pays se sont également engagés en faveur de l’économie circulaire notamment en Europe du Nord (Pays-Bas, Allemagne) ou au Japon et en Chine. En Chine, une grande importance est accordée, en matière de prévention/réduction, aux technologies propres (notamment celles liées à l’efficacité matières/énergie/eau des processus industriels) et en matière de réutilisation à l’écologie industrielle, notamment pour les industries lourdes, et au « reconditionnement » (industrie automobile notamment).
Pour le Japon, l’accent est notamment mis sur l’éco-conception pour économiser les matières utilisées pour la production, faciliter la réparation, la maintenance ou la compatibilité ascendante des produits, faciliter le recyclage, l’emploi de matières premières recyclées ou minimiser l’emploi de matières dangereuses. L’Allemagne, dans sa loi sur l’économie circulaire, reprend les orientations de la directive européenne cadre sur les déchets qui impose aux Etats Membres l’élaboration de programmes de prévention des déchets. Le soutien à l’éco-conception constitue également un des volets du programme sur l’utilisation efficace des ressources.
Les Pays Bas ont, quant à eux, intégré une approche cycle de vie dans leur politique de gestion des déchets dont l’objectif est de limiter l’impact environnemental. L’Allemagne et le Japon accordent également une place importante à la thématique de la substitution de ressources renouvelables (notamment la biomasse) aux ressources non-renouvelables. Toutefois, malgré les efforts déployés, le modèle de l’économie circulaire demeure assez encore marginal.
En effet, d’après le Think Tank Circle Economy, l’économie mondiale en 2015 n’était circulaire qu’à hauteur de 9% selon le ratio « matières recyclées / matières premières utilisées dans le processus productif ». Dans l’Union européenne, le ratio d’utilisation des matériaux recyclés se situait en 2016 à un niveau légèrement supérieur (12%) selon Eurostat. Le chemin à parcourir pour aboutir à un modèle économique entièrement fondé sur le principe de circularité apparaît donc encore très long.Cet objectif semble d’autant plus difficile à atteindre que plusieurs contraintes limitent sa capacité à supplanter intégralement le modèle d’économie linéaire.
Plusieurs contraintes empêchent toutefois le modèle d’économie circulaire de se généraliser.
Le recyclage des matières en vue de leur réutilisation dans le processus de production de nouveaux biens constitue le cœur du modèle de l’économie circulaire. Or, plusieurs contraintes techniques, technologiques ou économiques en réduisent l’efficacité et constituent donc un frein au développement de l’économie circulaire :
- En premier lieu, la plupart des matériaux ne sont pas recyclables indéfiniment en raison du fait que leurs qualités physiques s’altèrent au fur et à mesure des recyclages. Par exemple, le papier ne peut être recyclé que 3 à 6 fois avant d’être trop dégradé pour pouvoir être ensuite réutilisé. Dans ces conditions, il n’apparaît pas envisageable que l’économie circulaire puisse totalement se substituer à l’économie linéaire.
- En second lieu, la multiplication des usages « dispersifs » ou « dissipatifs » des matériaux, liés à leur utilisation en très petite quantité, par exemple dans les productions de biens à fort contenu technologique comme l’électronique ou les nanotechnologies ou encore dans les cosmétiques, colles ou peintures, rend irrécupérables les matériaux concernés.
- Par ailleurs, la grande complexité de certains processus de fabrication qui recourent à des alliages de matériaux ou à des matériaux composites, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies, entraine une dégradation des matières recyclées qui perdent ainsi une partie de leur qualité originelle.
- Enfin, en termes économiques, le recyclage exige des entreprises du secteur d’importants efforts d’innovation et d’investissements. Le recyclage comporte en effet une dimension technologique qui peut s’avérer très complexe à gérer. C’est notamment le cas dans le domaine du plastique qui existe sous la forme de dizaine de polymères différents et qui demandent chacun un traitement spécifique alors même que les produits à recycler en comportent souvent plusieurs mélangés. De fait, le coût du recyclage rend l’activité difficilement compétitive par rapport à la matière vierge, surtout lorsque les cours de celle-ci évoluent à la baisse au niveau mondial. Ainsi, la viabilité économique de nombreuses filières du recyclage n’est pas assurée. C’est pourquoi, des mesures publiques spécifiques comme la fixation d’un taux d’incorporation obligatoire de matière recyclée ou la mise en place d’une TVA réduite pour les produits issus du recyclage, restent nécessaires pour permettre le développement de la filière du recyclage et plus généralement de l’économie circulaire.
Principales sources :
ADEME : Bilan National du Recyclage 2005-2014, rapport 2014 « Comparaisons internationales des politiques publiques en matière d’économie circulaire »
Circle Economy : The Circularity Gap Report
Commission européenne
Ministère de la transition écologique et solidaire
Les Nations Unies : rapport « Resource efficiency : potential and economic implications »
La tribune : dossier sur l’économie circulaire, 30 mars 2018
[1] Le Club de Rome est un groupe de réflexion international créé en 1968 et composé d’économistes, de hauts fonctionnaires, d’industriels et de scientifiques d’une cinquantaine de pays. Sa mission est de faciliter la compréhension des défis auxquelles l’humanité est confrontée et d’y proposer des solutions.
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Publié le 18 Novembre 2019. Mis à jour le 13 juin 2024