Selon les Nations unies, la population mondiale serait appelée à croître d’environ 25% d’ici 2050, date à laquelle elle avoisinerait les 10 milliards d’êtres humains, soit une augmentation de plus de 2 milliards sur 30 ans.

Parallèlement, l’urbanisation croissante et la hausse des niveaux de vie d’une fraction de plus en plus large de la population, notamment de celle de pays très peuplés comme la Chine, l’Inde ou le Brésil,  s’est accompagnée d’une modification de leur mode alimentaire se traduisant en particulier par une augmentation sensible de la part des produits d’origine animale (viandes et produits laitiers). Les Nations Unies estiment que si cette tendance devait se poursuivre, la production mondiale de viande qui a quintuplé entre 1961 et 2018, pour atteindre 330 millions de tonnes à cette date, progresserait encore de 60% d’ici 2080.

Si cette évolution des modes alimentaires a signifié pour de nombreuses personnes un meilleur équilibre alimentaire avec des apports plus importants en protéines, cette forte croissance de la consommation mondiale de viande soulève un véritable problème environnemental en raison du fait que le secteur de l’élevage accapare près des trois-quarts des surfaces agricoles mondiales -dont 40% de terres arables-, et qu’il contribue de façon significative au réchauffement climatique. Dans son rapport de 2014 intitulé « Lutter contre le changement climatique grâce à l’élevage », l’Organisation pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) estime en effet qu’avec 7,1 gigatonnes d’équivalent de CO² par an, ce secteur pouvait être tenu pour responsable directement et indirectement – c’est-à-dire avec prise en compte du transport de la nourriture et du processus de transformation de la viande- de 14,5% des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) générées par les activités humaines. 

Dans ce contexte, la question de la suppression de la viande dans nos régimes alimentaires et, plus généralement, de l’élevage a pu être soulevée. Elle apparaît en théorie comme la solution la plus efficace pour réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre du secteur. Toutefois, cette solution radicale ne semble pas la plus optimale pour lutter contre le réchauffement climatique, notamment parce qu’elle se heurterait à des obstacles d’ordre économiques, culturels, sociaux et environnementaux très importants. La réduction de la consommation de viande couplée à une amélioration des modes d’élevage apparait de ce fait comme une solution plus optimale.

 

Supprimer la viande d’élevage de nos régimes alimentaires apparait en théorie comme la solution la plus efficace pour réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre du secteur.

Le rapport spécial du Groupement Intergouvernemental des Experts du Climat (GIEC) sur le changement climatique et les terres émergées de 2019 s’est intéressé aux travaux qui ont été menés sur l’impact environnemental des différents types de régimes alimentaires. Il en conclut  que ceux qui sont les plus centrés sur une nourriture à base de produits d’origine animale sont aussi ceux pour lesquels l’empreinte environnementale est la plus élevée, à l’inverse des régimes à base de produits d’origine végétale. Plus précisément, plusieurs études ont été conduites sur le potentiel de réduction d’émissions de gaz à effets de serre de 8 différents régimes alimentaires supprimant ou restreignant la consommation de viande. Ils vont du méditerranéen (consommation modérée de viande) au végétalisme (absence de toute nourriture de provenance animale) en passant par le végétarien  (absence de consommation de viande ou de poisson ou au plus une fois par mois) ou le pesco-végétarien (pas de consommation de viande mais de produits de la mer et du poisson). Ces études se basent sur des scenarios de changement des modes alimentaires des populations par rapport aux habitudes actuelles ainsi que sur les effets secondaires de ce changement sur la séquestration de carbone rendue possible par la libération de terres autrement accaparées par l’élevage.

Le rapport du GIEC de 2019 établit une synthèse de leurs résultats. Il en ressort que le végétalisme est le régime qui, s’il était généralisé, permettrait de réduire le plus de gaz à effet de serre avec 8 Giga tonnes d’équivalent de CO² (GtCO²-eq) par an. Le régime méditerranéen est à l’inverse celui qui obtiendrait le moins bon résultat, avec une réduction de l’ordre de 3 GtCO²-eq par an :

Ces scenarios de réduction ou de suppression totale de la consommation de viande traditionnelle peuvent paraître  d’autant plus réalistes que de nouvelles technologies de production de viande « synthétique » ou « hydroponique » ou encore « cellulaire » ont été mises au point. Ces technologies qui s’appuient sur un procédé naturel de régénération des tissus musculaires permettraient en théorie du moins de réduire l’impact environnemental de la production de viande. Plusieurs études indiquent que recourir à la production de viande cellulaire serait en effet susceptible d’entraîner une baisse des émissions de GES du secteur essentiellement de façon indirecte grâce à la réduction des terres destinées à l’élevage, ce qui favoriserait la croissance de la végétation utile à la captation du carbone. Une start-up israélienne a ainsi récemment mis au point un nouveau procédé de fabrication de ce type de viande cellulaire qu’elle a réussi à cultiver dans l’espace, ce qui prouve qu’il est possible de proposer un produit ayant des propriétés nutritionnelles et énergétiques identiques à celles de la viande traditionnelle, mais sans avoir besoin d’animaux et donc de terres ou de grandes quantités d’eau pour le faire.

Si le coût de ces produits reste aujourd’hui très élevé, l’industrialisation des processus de production ainsi que les progrès technologiques pourraient néanmoins permettre de les baisser considérablement. Le cabinet AT Kearney estime ainsi que la viande issue de culture cellulaire pourrait conquérir 35% de parts de marché à l’horizon 2040, notamment parce que les consommateurs l’adopteraient massivement en raison de sa faible empreinte environnementale. D’autres produits fabriqués dans des conditions encore plus favorables à l’environnement tels que les steaks fabriqués à base de protéines végétales ou les aliments dérivés de certains insectes sont aussi présentés comme des substituts à la viande traditionnelle. Au total, la suppression (ou la quasi-suppression) de la viande produite de façon traditionnelle et industrielle pourrait apparaître comme la solution la plus efficace pour obtenir une réduction substantielle des émissions de gaz à effet de serre du secteur et ainsi favoriser l’atteinte de l’objectif mondial défini par l’accord de Paris de limiter la hausse des températures moyennes à 1,5 degrés Celsius d’ici la fin du XXIe siècle.

 

La suppression de l’élevage poserait toutefois de sérieux problèmes économiques, sociaux et même environnementaux

Le secteur de la production de viande de ruminants est celui qui pourrait être le plus directement concerné par ces projets car il apparaît de loin comme le plus gros émetteur de gaz à effet de serre. La FAO estime en effet qu’il est à l’origine de 61% du total des émissions du secteur contre seulement 9% pour le porc et 8 % pour le poulet. Le principal contributeur en est le méthane qu’ovins et bovins émettent lors du processus de digestion (40% du total selon la FAO).

Toutefois, la question de l’élevage de ruminants est assez complexe car non seulement il convient de prendre en compte le fait que différents types d’élevage co-existent et que ce sont surtout les élevages intensifs et industriels qui sont les plus gros consommateurs d’eau et les plus polluants, mais aussi qu’ovins et bovins fournissent de nombreux produits et services autres que la production de viande. Le rapport du GIEC de 2019 souligne ainsi que des études récentes ont montré qu’en terme de poids, moins de 50% du bétail abattu était utilisé en tant que viande comestible, que 1 à 10% était perdu et que le reste fournissait de la matière première à d’autres industries, comme l’habillement, l’ameublement, les cosmétiques, les matériaux de revêtement automobile ou la pharmacie et la chimie.

Par ailleurs, l’élevage valroise les coproduits des cultures ainsi que l’herbe des prairies, transformant en produits à haute valeur nutritionnelle (lait, viande) des biomasses non utilisables pour l’alimentation humaine. L’Institut national pour le recherche agronomique (INRA) souligne que la ration des ruminants comprend environ 70% de fourrages non digestibles pour l’homme et 30% d’aliments concentrés dont une fraction seulement des protéines qu’ils contiennent seraient directement utilisables pour l’homme. En outre, une vache laitière peut produire entre 2 et 4 kilogrammes de protéines animales à partir de 1 kilogramme de protéines végétales qui pourraient être incorporées à l’alimentation humaine. Plus généralement, la disparition de toute forme d’élevage ne semble ni possible ni souhaitable.

La FAO estime en effet que le secteur de l’élevage renforce les moyens d’existence et la sécurité alimentaire de 1,3 milliard de personnes dans le monde et que pour près de 600 millions des ménages le plus pauvres vivant dans les pays en développement, le bétail reste une source de revenus essentielle. En outre, dans de nombreux pays d’Afrique ou d’Asie, il constitue une force motrice indispensable pour les cultures vivrières alors que la valorisation du fumier comme source de combustible renouvelable (biogaz) et abordable pour les populations rurales de ces pays permet de répondre aux besoins de plus d’un milliard de personnes pour leur usage domestique.

Enfin, d’un point de vue environnemental, la disparition de l’élevage aurait aussi des impacts négatifs. Plusieurs éléments permettent d’étayer cette affirmation :

  • En premier lieu, l’INRA rappelle qu’au cours du XIXe siècle, environ un milliard d’hectares de terres arables a été perdu dans le monde en raison principalement de la disparition de l’élevage et de ses fonctions. La conséquence en fut la désertification des terres car les sols pâturés contribuent par leur texture et leur couverture à la limitation des pertes d’eau due au ruissellement et à la recharge des nappes phréatiques.
  • Les ruminants valorisent de très nombreuses zones impropres aux cultures. L’INRA rapporte que si l’élevage utilise des terres agricoles, 80% d’entre elles sont des prairies majoritairement non cultivables dont de nombreuses études ont montré l’intérêt environnemental. Elles jouent notamment un rôle clé dans la séquestration du carbone dans le sol, ce qui permet de compenser l’équivalent de 30 à 80% des émissions de méthane des ruminants. Les prairies renferment également une diversité floristique favorisant les populations de pollinisateurs.
  • Les animaux d’élevage permettent également de produire des fertilisants grâce à leurs déjections et réduisent de ce fait le recours aux engrais de synthèse pour les cultures.
  • Enfin, la fabrication de viande cellulaire est énergétiquement coûteuse et utilise massivement des molécules de synthèse (hormones, antibiotiques) dont les résidus risqueraient de se retrouver dans les eaux usées des usines. Substituer intégralement la viande cellulaire à la viande d’élevage n’apporterait donc pas autant de bénéfices environnementaux qu’escompté. Une étude conduite par des chercheurs de l’Université d’Oxford abouti à une conclusion plus radicale et estime même qu’en raison du fait que l’élevage traditionnel émet principalement du méthane qui ne reste dans l’atmosphère qu’une douzaine d’années contre plusieurs siècles pour le dioxyde de carbone, la viande de culture n’est pas nécessairement meilleure pour l’environnement que l’élevage traditionnel tant que le système de production dépend encore trop largement des énergies fossiles.

Au total, la prise en compte des éléments économiques, sociaux et environnementaux qui sous-tendent la disparition totale de toute forme d’élevage amène à la conclusion que la généralisation du modèle alimentaire de type Végan -et la disparition corolaire de l’élevage qu’il implique- ne constituerait pas la façon la plus optimale de parvenir à une diminution de l’empreinte environnementale du secteur.

 

Réduire la consommation de viande tout en améliorant les modes d’élevage apparait comme une solution plus optimale

L’idée selon laquelle les régimes alimentaires consommateurs de produits d’origine animale auraient une empreinte environnementale bien plus élevée que celle des régimes à base de produits d’origine végétale n’est pas entièrement partagée par l’ensemble des chercheurs s’intéressant à cette question. L’INRA cite par exemple une étude qu’il a cofinancé avec l’Ademe qui montre que l’impact carbone des régimes carnés n’est pas plus important que celui des régimes plus riches en végétaux, notamment parce qu’à apport énergétique égal, ces derniers contiennent de grandes quantités de végétaux. Une étude publiée en 2012 (Vieux et al., Ecological Economics) arrive à la même conclusion, à savoir que l’impact carbone dépendrait davantage du nombre de calories ingérées que de la composition du régime alimentaire et que remplacer la consommation de viande par des fruits et des légumes peut se traduire par une hausse des émissions de GES en raison de l’importance des quantités nécessaires au maintien des apports calorifiques.

Pour autant, un consensus émerge sur la nécessité de réduire la consommation de viande, notamment dans les pays développés dans lesquels la consommation de protéines animales est supérieure aux besoins puisqu’en moyenne dans ces pays la nourriture contient en poids deux tiers de protéines animale pour un tiers de protéines végétales alors que les recommandations internationales en la matière préconisent un niveau globalement équivalent. Dans leur analyse prospective Agrimonde-Terra, l’INRA et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) préconisent ainsi l’adoption d’un régime qualifié de « sain » qui repose justement sur la diminution de moitié de la consommation de produits animaux en calories en Europe et aux Etats-Unis et une augmentation concomitante de la consommation de céréales, légumineuses, fruits et légumes. Ce régime permettrait, selon les auteurs, de nourrir 10 milliards d’êtres humains à l’horizon 2050 sans augmentation notable des surfaces cultivées.

Par ailleurs, un consensus émerge également sur le fait qu’une meilleure organisation de la chaine de production alimentaire devrait permettre de réduire le gaspillage alimentaire et de mieux valoriser les déchets, ce que des pays comme le Japon et la Corée du sud ont réussi à obtenir selon le rapport du GIEC de 2019 sur le changement climatique et les terres émergées. Dans son rapport le GIEC estime aussi qu’un fort potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre existe dans le secteur de l’élevage s’il s’oriente vers un système de production plus soutenable incluant des aliments pour le bétail de meilleure qualité ainsi qu’une amélioration dans les modes de gestion des pâturages -afin qu’ils puissent séquestrer davantage de carbone- et du fumier. Ces conclusions sont partagées par la FAO, qui souligne que plusieurs études ont démontré qu’une démocratisation des meilleures pratiques et technologies relatives à l’alimentation, la santé et la gestion du fumier pouvait contribuer à réduire les émissions de GES issues du secteur de l’élevage d’au moins 30%.

Par contre, le rapport du GIEC se montre sceptique sur l’efficacité de l’introduction des nouvelles technologies destinées à réduire les émissions de méthane de l’élevage (utilisation d’agents chimiques dans l’alimentation du bétail, vaccins, modification génétique des herbages, …) en raison essentiellement de leurs coûts et de leurs impacts sur le bien-être et la performance des animaux. Le rapport doute également de l’efficacité d’autres mesures telles que le remplacement des ruminants par les monogastriques (porcs, lapins, volailles) ou la délocalisation des productions vers les régions les plus efficaces parce que le poids des habitudes socio-économiques et culturelles sont telles qu’elles nécessiteraient de mettre en place des incitations trop importantes pour initier les changements requis.

 

Principales sources utilisées :

  • Rapport IPPC (GIEC) 2019 « Climate change and land »
  • INRA : dossier « Fausse viande ou vrai élevage ? » ; article : « Quelle place pour les produits animaux dans l’alimentation de demain ? »
  • FAO : « Elevage et changement climatique » ; « Exploiter le potentiel du bétail pour stimuler le développement durable »

 

Pour en savoir plus sur l’impact de l’élevage dans le changement climatique, découvrez notre vidéo en cliquant ICI.

 

 

 


 

 

 

 


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Publié le 12 Novembre 2019. Mis à jour le 13 juin 2024