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LE BILLET CLEMENCEAU, JAMAIS ÉMIS

Pendant plus de vingt-cinq ans, un projet de billet à l’effigie de l’homme d’État Georges Clemenceau fut, dans la plus grande discrétion, travaillé dans les ateliers de la Banque de France. Il ne fut jamais émis. Voici l’histoire mouvementée de ce billet, inconnu du grand public.

Au milieu des années 1950, la Banque de France fait étudier la réalisation d’une gamme complète de billets allant du 500 au 50 000 francs. Cette gamme devait être illustrée par des personnages très estimés et emblématiques de la Nation. Outre Foch, Corneille, Racine, Pasteur et Voltaire, le choix se porte sur Georges Clemenceau. C’est d’abord le « Père la Victoire » de 1918 que la Banque de France entend honorer sur un nouveau billet. Ce choix très militaire, juste après la défaite française de 1954 en Indochine, rappelle que le pays fait partie des plus grandes puissances mondiales et n’a pas connu que des revers.

La première maquette présente donc Clemenceau vêtu du chapeau qu’il portait lors de ses déplacements dans les tranchées du front pendant la première guerre mondiale (photo 1).

Mais des évènements historiques vont modifier ce projet. Dans les ministères, se préparent la Communauté économique européenne (CEE) et celle de l’énergie atomique (Euratom), que la France, l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas créent le 25 mars 1957 par le Traité de Rome. Le 22 janvier 1963, est signé le Traité d’amitié Franco-Allemand. Dans cette période de réconciliation, il est jugé diplomatiquement inopportun d’émettre un billet célébrant l’un des acteurs décisifs de la défaite allemande de 1918.

La Banque de France garde le projet en réserve et le réétudie régulièrement : les illustrations d’origine sont remplacées et de fréquentes améliorations techniques le maintiennent à niveau pour une possible mission de secours en cas de contrefaçon massive des coupures de 500F en usage.

On remplace le « Père la Victoire » par le « Tigre » à la longue carrière publique

Sur ces nouvelles versions, on remplace le « Père la Victoire » par le « Tigre » à la longue carrière publique : Clemenceau journaliste, patron de presse, député, président du Conseil… En 1977, la composition du billet est complètement revue afin d’y installer quelques-uns des nouveaux dispositifs de sécurité anti-contrefaçon, tels que l’exacte superposition des portraits des deux faces. La nouvelle vignette, peinte par Pierrette Lambert, loge dans sa composition de nombreux détails très précis qui en enrichissent le contenu et en affinent les contours, afin de compliquer la copie par les faussaires.

Clemenceau est désormais présenté tête nue, dans une stature plus solennelle d’homme d’État. Au recto (photo 2), il est installé à son cabinet de travail, dans l’appartement du 8, rue Benjamin-Franklin à Paris, qui est aujourd’hui le Musée Clemenceau. On découvre son intérieur parisien avec son célèbre bureau en U, sur lequel trône au fond, devant la baie, une statuette de Bouddha. L’emplacement du filigrane constitue un rond de lumière inondant les lieux, par la baie fermée. En vis-à-vis du personnage privé, le verso (photo 3) évoque la vie publique de Clemenceau. Son portrait, placé devant le perchoir de l’Assemblée nationale, évoque sa vie parlementaire et son talent d’orateur. On reconnait notamment le célèbre relief du sculpteur Lemot affichant des symboles républicains. À gauche, la statue d’Athéna, déesse de la sagesse et de la guerre, souligne l’attachement de Clemenceau à la culture hellénique ainsi que son action durant la guerre de 1914-1918. À droite, les livres font référence à ses talents d’écrivain et à sa carrière de journaliste.

En 1979, une nouvelle version du billet est prête à être émise mais elle connait finalement un sort identique. La création du Système monétaire européen (SME) rend de nouveau inopportune l’émission de ce billet.

Au début des années 1980, soit un quart de siècle après les premiers projets, le « Clemenceau » est, sur le plan technique, à bout de souffle : sans un très lourd remaniement, il ne peut recevoir toutes les nouveautés technologiques qui doivent être intégrées dans les billets. Sur le plan symbolique, la référence à Clemenceau reste délicate. Le couple franco-allemand (Pompidou-Brandt puis Giscard d’Estaing-Schmidt) a élargi le champ de sa coopération : le rapprochement aborde maintenant les échanges éducatifs, la circulation des personnes, les aspects militaires et la défense. Un point d’orgue est atteint en 1984 : le président Mitterrand et le chancelier ouest-allemand Kohl se tiennent symboliquement la main durant l’exécution des deux hymnes nationaux à Douaumont, où reposent des dizaines de milliers de victimes de la guerre de 1914-1918.

La Cité de l’économie présentera une épreuve de ce billet non émis, issue de la collection de la Banque de France, qui constitue l’un des chefs d’œuvre de l’école française du billet.

Vous trouverez des informations plus détaillées sur le long cheminement du projet de billet Clemenceau, dans l’ouvrage de Jean-Claude Camus, « Billets secrets de la Banque de France » (2017) paru aux Éditions Artelia.

Nous remercions le Musée Clemenceau qui a gracieusement mis à notre disposition les photos 4, 5 et 6 illustrant cet article.

 
Crédits photos :
Photos 1, 2 et 3 : Paris, coll. Banque de France
Photos 4, 5 et 6 : Paris, coll. Musée Clemenceau

 


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Publié le 25 Octobre 2017. Mis à jour le 27 Février 2024