Les dessous du prix du carburant : mécanismes, fluctuations et impacts
Rédigé par Pierre Rousseaux, doctorant en économie au CREST (CNRS, Ecole Polytechnique, GENES) et Président cofondateur et rédacteur en chef d’Oeconomicus.
Imaginez la scène : vous êtes en route pour un week-end bien mérité, et au moment de faire le plein, le prix affiché à la pompe vous laisse perplexe. Un jour en hausse, le suivant en baisse… mais jamais tout à fait prévisible.
Cette variabilité, à la fois familière et frustrante, soulève une question essentielle : pourquoi le prix du carburant semble-t-il changer aussi souvent, parfois sans raison apparente ? La réponse va bien au-delà des simples lois du marché, elle relève de mécanismes qui impliquent décisions géopolitiques, marchés financiers, et choix fiscaux nationaux.
En effet, pour comprendre les fluctuations du prix du carburant, il faut d’abord comprendre que ce dernier résulte de plusieurs éléments : le coût du pétrole brut, les frais de raffinage, la distribution et les taxes nationales. Nous allons, dans cet article, complémentaire à la vidéo « Pourquoi le prix du pétrole varie-t-il autant ? », détailler chacun de ces points.
Découvrir la vidéo :
Le coût du pétrole brut : extraction, indices et influence géopolitique
Le coût du pétrole brut est une composante importante du prix que vous payez à la pompe, environ 30 à 40% du prix final et est influencée par l’offre et la demande mondiales sur les marchés financiers, les décisions de l’OPEP, les tensions géopolitiques, et les spéculations.
Le pétrole brut est extrait directement par des compagnies nationales (comme Saudi Aramco, PDVSA, Gazprom) et des multinationales privées (ExxonMobil, Chevron, Shell, TotalEnergies) dans les pays producteurs, qui en contrôlent juridiquement l’accès. Une fois extrait, le pétrole brut est vendu sur les marchés internationaux où il se négocie en fonction de deux indices : le Brent, extrait principalement en mer du Nord et pris comme référence pour l’Europe et une grande partie du monde, et le West Texas Intermediate (WTI), extrait aux États-Unis et utilisé comme référence pour le marché américain. Ces deux indices fixent les standards de prix sur les places boursières de Londres (ICE) et de New York (NYMEX).
C’est à ce stade que l’OPEP (Organisation des Pays Exportateur de Pétrole) joue effectivement un rôle crucial dans la détermination du prix du pétrole brut sur les marchés financiers. Fondée en 1960, l’OPEP regroupe aujourd’hui treize pays (Algérie, Angola, Arabie Saoudite, Congo, Émirats arabes unis, Gabon, Guinée Équatoriale, Iran, Irak, Koweït, Libye, Nigéria, Venezuela) producteurs de pétrole, principalement du Moyen-Orient et d’Afrique, qui détiennent à eux seuls 80 % des réserves mondiales de brut et 40% de la production mondiale. En ajustant les quotas de production (limites de barils par jour que chaque membre est autorisé à produire), l’OPEP peut augmenter ou diminuer l’offre mondiale, jouant ainsi un rôle direct dans la fixation des prix. Par exemple, lorsque l’OPEP réduit (augmente) la production, l’offre mondiale diminue (augmente), ce qui, avec une demande constante, fait augmenter (diminuer) les prix du pétrole brut.
Les marchés financiers, où le Brent et le WTI sont négociés, sont sensibles aux annonces de l’OPEP car elles indiquent l’orientation de la production mondiale. Même si le Brent et le WTI représentent des bruts extraits en dehors des pays de l’OPEP, leurs prix intègrent les variations d’offre mondiale influencées par les décisions de l’OPEP, par la détention des réserves mondiales et le contrôle de la production mondiale. Depuis 2016, l’OPEP collabore notamment avec des producteurs non-membres, dont la Russie, au sein de ce que l’on appelle l’OPEP+, pour stabiliser le marché. Ces alliances renforcent l’influence de l’OPEP sur les prix mondiaux, y compris ceux des indices Brent et WTI, puisque de grandes puissances productrices hors OPEP suivent les décisions de réduction ou d’augmentation de l’offre.
Du brut à la pompe : raffinage et distribution
Après son extraction et sa vente sur les marchés financiers, le pétrole brut est acheminé vers des raffineries, où il est transformé en produits comme l’essence et le diesel. Il existe plusieurs variétés de pétrole, classées selon leur densité (léger ou lourd) et leur teneur en soufre (faible ou élevée). Le raffinage est un processus complexe de distillation et de traitement des fractions pour produire des carburants finaux ; le brut léger, comme le Brent et le WTI, est privilégié pour sa faible teneur en contaminants, facilitant la production de carburants de haute qualité. Le coût du raffinage, qui dépend de la qualité du brut et de la demande en carburants spécifiques (comme le diesel en Europe), représente entre 5 et 10 % du prix final du carburant.
Après raffinage, le carburant est ensuite transporté vers les stations-service par pipeline, camion-citerne ou bateau, puis stocké et distribué aux points de vente. Ces étapes de transport et de distribution représentent environ 10 % du prix final du carburant.
Le poids des taxes : entre financement de l’État et incitations écologiques
En France, les taxes constituent la part la plus importante du prix du carburant, entre 50 et 60 % du prix du plein. Deux taxes principales sont appliquées : l’accise sur les carburants et la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA). Ces taxes jouent un rôle essentiel dans les recettes de l’État et soutiennent la politique énergétique.
L’accise sur les carburants, instaurée en 2022, remplace la TICPE (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques) qui avait elle-même remplacé en 2011 la « taxe intérieure de consommation des produits pétroliers » (TIPP) et englobe tous les produits énergétiques utilisés comme carburants et combustibles. Il s’agit d’une taxe fixe par litre, variable selon le type de carburant (0,68 €/L pour l’essence SP95-E5 et 0,59 €/L pour le diesel en 2024), indépendante du cours du pétrole. Cette taxe est modulée par l’État pour encourager la transition énergétique ou ajuster les revenus fiscaux. Elle rapporte un peu plus de 30 milliards à l’Etat en 2023, soit environ 1.1% du PIB.
La TVA est, elle, fixée à 20 % et appliquée sur le prix total du carburant, y compris la TICPE, créant un effet de proportionnalité : 20 % s’ajoutent au coût brut, aux frais de raffinage, de distribution et à la TICPE. Contrairement à la TICPE, la TVA est donc proportionnelle, augmentant avec le prix du pétrole. En cas de hausse du baril, la TVA amplifie le prix final à la pompe, un effet souvent critiqué pour son impact sur les consommateurs lorsque les prix fluctuent.
Les marges des distributeurs et les contraintes de rentabilité
Les marges de distribution, représentant environ 1 à 3 % du prix final du carburant, couvrent divers frais pour les distributeurs. Ces marges varient selon le type de station (grande enseigne ou indépendante), la localisation (urbain ou rural) et la concurrence locale. En zones rurales, où la concurrence est moindre, les stations peuvent appliquer des marges un peu plus élevées.
La marge brute finance les coûts opérationnels des stations-service : salaires, entretien des infrastructures (pompes, réservoirs) et frais administratifs. Les petites stations sont souvent plus vulnérables aux fluctuations des prix d’achat et des volumes de vente, tandis que les grandes enseignes, achetant en gros, peuvent négocier des prix plus avantageux et adapter leurs marges en fonction de la demande et des coûts logistiques.
Facteurs de fluctuation : entre géopolitique et politique fiscale nationale
Le graphique 1, ci-dessous représente deux manières d’exprimer la composition du prix final du carburant, en % du prix final, et en en € par Litre de plein. Les valeurs sont des moyennes calculées dans un contexte de prix stable, et ils ne reflètent pas les fluctuations extrêmes comme celles observées lors de la crise énergétique.
Graphique 1 : Composition du prix final du carburant (en % et en €/L)
Source : DGEC (Direction générale de l’Énergie et du Climat) - Graphique : auteur
Les montants et proportions qui composent le prix final du carburant ne sont pas figés et peuvent bien sûr fluctuer. Deux éléments jouent un rôle central dans ces variations : le prix du pétrole brut et le montant des taxes nationales. Ils agissent à la fois comme amplificateurs des fluctuations du prix ou comme leviers d’action politique et économique.
Les prix du pétrole brut sont sensibles aux aléas géopolitiques dans les pays exportateurs, où des modifications de l’offre peuvent faire bondir les prix. En raison de sa position monopolistique, les décisions de l’OPEP en matière de quotas de production exercent une influence majeure sur les cours du pétrole. Des événements comme les révoltes de 2011 dans le monde arabe illustrent cette volatilité : le prix du baril de Brent a augmenté de près de 30 % en quatre mois. À l’inverse, en 2014, une offre excédentaire due à la production de pétrole de schiste aux États-Unis a fait chuter les cours, une situation amplifiée en 2020 lorsque la pandémie a provoqué une baisse mondiale de la demande. Plus récemment, l’invasion de l’Ukraine en 2022 a déclenché une hausse historique des prix, exacerbée par les sanctions européennes sur le pétrole russe.
Les taxes, elles, jouent un rôle ambivalent, pouvant être modulées pour atténuer l’impact des hausses du prix du pétrole ou inciter à une transition vers des mobilités moins dépendantes des énergies fossiles.
D’une part, elles peuvent être réduites ou accompagnées de dispositifs d’aides ciblées, comme les chèques énergie, afin de limiter l’impact des hausses du prix du pétrole brut sur le pouvoir d’achat. En 2022, face à la flambée des prix, l’État français a ainsi mis en place une ristourne de 15 à 30 centimes par litre, une mesure coûteuse pour les finances publiques (8 milliards d’euros) mais qui a permis de soulager les ménages et secteurs sensibles, comme le transport ou la pêche. Cette aide a ensuite été remplacée par une indemnité de 100 € pour les ménages les plus modestes, un dispositif plus ciblé et jugé plus efficace pour limiter les dépenses publiques.
D’autre part, les taxes sont aussi un levier pour encourager les ménages à acheter certains types de véhicules : le diesel avant 2015 ou la réduction de l’usage des véhicules thermiques plus récemment. En augmentant progressivement ces prélèvements, l’État peut influencer le comportement des consommateurs en renchérissant le coût du litre, ce qui incite à limiter l’usage des voitures à moteur thermique. La question reste toutefois complexe : la fiscalité pétrolière constitue une source de revenus majeure pour l’État, et toute réduction durable de la consommation de carburant se traduit par une baisse de ces recettes.
À mesure que les véhicules électriques se multiplient, la question du remplacement de la taxe sur le carburant (ex-TICPE) devient plus pressante. Certains pays, comme l’État de Washington aux États-Unis, ont déjà instauré une taxe de 100 $ pour les utilisateurs de véhicules électriques afin de compenser ce manque à gagner. C’est également le choix de la province de l’Alberta, au Canada, qui a fixé une taxe annuelle de 200 $ (environ 135 €) à partir du 1er janvier 2025. L’objectif de cette taxe est de compenser l’usure accrue des routes causée par le poids supplémentaire des véhicules électriques et de pallier la diminution des revenus provenant de la taxe sur les carburants. En Europe, en 2024, la Suisse est le premier pays à fixer un impôt égal à 4 % de la valeur importée du véhicule électrique pour compenser la diminution des recettes fiscales et financer l’entretien des routes.
Published on 17 January 2025. Updated on 21 January 2025