Monnaie
00:00

Jingle de l'émission

Animatrice :
- Bienvenue à tous. Nos experts du jour ne se sont pas encore tous exprimés mais avec notre standard qui explose, ils ne devraient pas manquer d'y arriver. La production me souffle à l'oreille que de nombreux auditeurs s'interrogent sur la monnaie, l'argent quoi... ! Alors, professeur Gagne-petit, vous représentez la revue Des hauts et des bas, à quand remonte cette fameuse monnaie et à quoi sert-elle ?

Professeur GAGNEPETIT :
- Elle est presque aussi vieille que le monde est monde, comme quoi, elle doit bien être un peu utile...non ?

Animatrice :
- Je vous interromps, nous allons prendre Patrick au téléphone...Patrick... ?

Patrick :
- Bonjour à tous. Je voudrais savoir pourquoi on n'échange pas tout simplement un produit contre un autre ?

Professeur GAGNEPETIT :
- Votre auditeur pourrait lire Aristote. En effet, quatre siècles avant notre ère, cet illustre philosophe n'a pas manqué de se pencher également sur le fonctionnement des échanges, de l'économie et de se poser... la même question.

Animatrice :
- Nous sommes toute ouïe...

Professeur GAGNEPETIT:
- Aristote a montré que dans bien des cas, il était trop hasardeux de trouver la personne avec qui échanger un produit. Vous avez du pain et vous cherchez du vin. Si vous le trouvez, le détenteur de vin aura-t-il pour autant besoin de votre pain ? Pas sûr. En revanche, si le pain, le vin, tout autre produit ou service ont une valeur en argent, le problème est réglé.

Patrick :
- Et si je préfère garder mon argent..?

Professeur GAGNEPETIT :
- Vous constituez une réserve de valeur qui vous permet d'attendre avant d'acheter. Autre avantage de la monnaie...

Animatrice :
- Professeur Gagnepetit, la quantité de monnaie en circulation a-t-elle une importance ?

Professeur GAGNEPETIT :
- Absolument. Si, par exemple, la quantité de monnaie augmente plus vite que celle des produits fabriqués, eh bien, leur prix peut augmenter. Dès le XVIe siècle, un juriste français, Jean Bodin, analyse très bien ce phénomène.

Animatrice :
- On vous suit. A l'époque, l'Europe croule sous l'or et l'argent ramenés des Amériques...

Professeur GAGNEPETIT :
- En effet et pour Jean Bodin, il faut attribuer la hausse des prix à cette arrivée monétaire massive. Milton Friedman, prix Nobel en 1976, ne dit pas autre chose quand il insiste sur le contrôle de la quantité monétaire par les Banques centrales pour empêcher l'inflation.

Animatrice :
- Ah, Patrick, dans mon oreillette, souhaite intervenir...?!

Patrick :
- Oui merci. Mais alors cela veut dire que la monnaie n'agit que sur les prix et pas sur l'activité ?

Professeur GAGNEPETIT :
- Pas vraiment... Pour certains économistes, une augmentation de la quantité de monnaie ne conduit pas forcément à une hausse des prix. Elle peut dans un premier temps stimuler la croissance de l'activité tant qu'il y a du chômage. Et pour d'autres comme Keynes, la monnaie n'agit ni sur les prix ni sur l'activité comme par exemple dans le cas d'une crise de confiance où tout le monde préfère la détenir plutôt que la dépenser.

Animatrice :
- Merci beaucoup Patrick et à bientôt, nous devons déjà prendre un nouvel auditeur...

Jingle de l'émission

Rationalité
00:00

Jingle de l'émission

Animatrice :
- Bonjour à tous, bienvenue sur les ondes de "Raconte-moi l'éco" nous avons Bernard en ligne, posez votre question ...

Bernard :
- Euh bonjour, votre invitée parlait tout à l'heure de théorie de la rationalité, peut-elle préciser sa pensée ?

Animatrice :
- Bien sûr, bien sûr... Dorothée Balaize, rappelons que vous êtes directrice de l'I2EI, l'Institut européen de l'Economie invincible, c'est donc à vous de répondre...

Dorothée Balaize :
- Tout d'abord, la théorie de la rationalité est l'un des points de départ de l'analyse économique dite "classique", et c'est Adam Smith qui en est à l'origine...

Animatrice : [à l'adresse des auditeurs]
- Adam Smith, philosophe-économiste anglais de la fin du 18è siècle...

Dorothée Balaize :
- Oui...Donc, pour Adam Smith, la richesse des nations progresse parce que les individus se spécialisent rationnellement dans les tâches où ils sont les plus efficaces et dont ils tirent le meilleur avantage.

Bernard : [Bernard, sur un ton écœuré]
- Alors, je n'dois pas toujours agir rationnellement... !

Dorothée Balaize :
- Vous savez, comme toutes les théories, celle de la rationalité est simplificatrice. Pour Milton Friedman, prix Nobel en 1976, c'est une simplification qui permet de prédire les choix des personnes : tout se passe "comme si" on était rationnels, même si on ne l'est pas totalement. Bernard, si le prix du poisson augmente, vous en achetez moins. Et bien, vous êtes rationnel ...

Animatrice : (sur un ton de relance)
- Mais si Bernard sait que le poisson va encore augmenter, peut-être va-t-il en remplir son congélateur ?

Dorothée Balaize :
- Dans ce cas, il va anticiper en fonction d'une information et de manière assez rationnelle, non ? C'est une conduite qu'analyse fort bien Robert Lucas, prix Nobel lui aussi, en 1995.

Animatrice : [sur un ton de défi amusé – et repris au vol par l'invité]
- Aline Balaize, pensez-vous vraiment que la rationalité est encore au rendez-vous quand le cours des actions d'un secteur atteint des sommets puis s'effondre brutalement... ?

Dorothée Balaize :
- Quand une bulle spéculative éclate ? Là, nous avons affaire à des acteurs qui désirent tous vendre plus cher qu'ils n'ont acheté. Chacun cherche alors à deviner ce que pensent les autres de telle ou telle entreprise et non de leur véritable potentiel. Ils s'imitent les uns les autres et perdent toute rationalité. John Maynard Keynes, dès les années 30, souligne ce phénomène...

Bernard :
- Mais enfin... !?

Animatrice :
- Oui Bernard ?

Bernard :
- Pourquoi prendre de tels risques ?

Dorothée Balaize :
- Parce qu'en réalité, de nombreux investisseurs prennent des décisions sans toujours bien prendre le temps nécessaire de s'informer et de tout bien peser. Herbert Simon, Nobel en 1978, l'a fort bien décrit.

Animatrice :
- Donc, l'homo-economicus serait un humain comme les autres, auquel toute rationalité pourrait échapper ? [animatrice, sur un ton complice et de conclusion]

Dorothée Balaize :
- Tout à fait. Les expériences de Daniel Kahneman, psychologue-économiste et même prix Nobel en 2002, ont parfaitement mis au jour combien notre rationalité peut se révéler beaucoup plus complexe que la théorie ne le voudrait...

Animatrice :
- Bernard, j'espère que vous y voyez plus clair, Raconte-moi l'éco continue, place à un nouvel auditeur et nos trois experts du jour...

Jingle de l'émission

Confiance
00:00

Jingle de l'émission

Animatrice :
- Bonjour à tous ceux qui nous rejoignent pour la séquence auditeurs de Raconte-moi l'éco. Vous êtes très nombreux à vous demander ce que vient faire la confiance dans le discours des économistes... Didier Faucher, PDG de Crédit sans souci, voulez-vous répondre... ?

Didier faucher
- Disons que pour agir rationnellement, un minimum de confiance dans l'avenir est nécessaire ... Sinon, le pessimisme peut vite devenir contagieux. Sans confiance, pas de rationalité !

Animatrice :
- Ah ! Nous avons Albertine en ligne, cette auditrice souhaite réagir...

Albertine :
- Bonjour, merci de prendre ma question. Ce que décrit votre invité, c'est bien ce qui s'est passé durant la grande dépression des années 30 ?

Didier Faucher :
- Tout à fait Madame. A cette époque, la confiance des acteurs dans l'avenir est au plus bas, si bien que l'économiste britannique John Maynard Keynes soutient qu'il est impossible de prédire la rentabilité d'un investissement. La solution qu'il préconise pour rétablir la confiance réside dans l'intervention de l'Etat, par la mise en œuvre de politiques de relance économique...

Animatrice :
- Ouh la la... Mon p'tit doigt me dit que ce modèle de relance keynésienne ne remporte pas la confiance de tous vos collègues... ?

Didier faucher :
- C'est vrai. D'autres économistes estiment qu'il est inutile de stimuler la demande alors que les perspectives sur l'avenir sont mauvaises et que les entreprises ne prendront pas le risque de produire plus. C'est le cas de l'Américain Milton Friedman, prix Nobel en 1976, pour qui les politiques de relance par l'Etat n'aboutissent qu'à augmenter les prix et générer de l'inflation.

Animatrice :
- En quelques mots, quelle est la recette de Milton Friedman pour rétablir la confiance ?

Didier faucher :
- Eh bien, une politique avant tout monétariste. C'est-à-dire, stabiliser la monnaie en contrôlant rigoureusement la quantité de monnaie en circulation.

Animatrice :
- Dites-nous, Didier Faucher, cette histoire de confiance en l'avenir passe aussi par la confiance que chacun s'accorde mutuellement, je suppose ... ?

Didier faucher :
- Tout à fait, elle est, dirons-nous, indispensable. En vérité, précisons tout de même qu'un acteur peut trahir cette confiance à tout instant... Sur ce sujet, je renvoie vos auditeurs aux travaux d'économistes et mathématiciens, comme John Nash – prix Nobel 1994 – sur la Théorie des jeux...

Animatrice :
- Nous retrouvons Albertine. Oui... ?

Albertine :
- Au fond, chacun essaie de profiter de la confiance de l'autre ; quitte à la trahir... ?

Didier faucher :
- Pas toujours ! Il existe des sphères d'échanges, où des règles bien comprises par tous, permettent le respect de la confiance mutuelle pour le bien de chacun.

- Les travaux d'Elinor Ostrom, 1ère femme prix Nobel d'économie en 2009, l'ont fort bien montré, à travers l'exemple de la gestion de ressources naturelles partagées comme les pâturages ou les sources d'eau.

- Mais, vous savez Albertine, les mécanismes de la confiance sont très complexes et les économistes sont loin de les avoir tous explorés...

Animatrice :
- Merci Albertine pour votre question. Je crois que les auditeurs l'auront bien compris, rien d'important ne peut se faire sans confiance en économie ...

Animatrice :
- Donc, l'homo-economicus serait un humain comme les autres, auquel toute rationalité pourrait échapper ? [animatrice, sur un ton complice et de conclusion]

Dorothée Balaize :
- Tout à fait. Les expériences de Daniel Kahneman, psychologue-économiste et même prix Nobel en 2002, ont parfaitement mis au jour combien notre rationalité peut se révéler beaucoup plus complexe que la théorie ne le voudrait...

Animatrice :
- Bernard, j'espère que vous y voyez plus clair, Raconte-moi l'éco continue, place à un nouvel auditeur et nos trois experts du jour...

Jingle de l'émission

Régulation
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Jingle de l'émission

Animatrice :
- Eh oui, les ondes de l'économie, c'est sur Raconte-moi l'éco et notre séquence auditeurs ! Je demanderai à nos invités d'être aussi brefs que possible car le standard est débordé...On me signale une question récurrente. Elle porte, d'après ma petite fiche, sur l'opinion des économistes concernant la nécessité de réguler la monnaie et plus globalement, l'économie ? Dorothée Balaize, directrice de l'I2EI - l'institut européen de l'Economie invincible -, voulez-vous bien commencer ?

Dorothée Balaize :
- Ah... plusieurs chapelles s'affrontent...Mais schématiquement vous avez d'un côté, les partisans du laisser-faire, autrement dit de l'autorégulation des marchés. Et de l'autre côté, les partisans d'une intervention de l'Etat pour relancer la demande quand la croissance décline trop sérieusement ou inversement, pour augmenter les impôts quand l'économie est en surchauffe...

Animatrice :
- Nous avons Paul en ligne, qui est en 1ère S, d'après c' qu'on me dit... Paul ?

Paul :
- Bonjour. Non, je suis en 1ère ES. Voilà ma question. L'un de vos invités parle d'autorégulation des marchés mais comment ça peut marcher... ?

Dorothée Balaize :
- Monsieur connaît sûrement l'économiste-philosophe, Adam Smith, qui écrivait à la fin du XVIIIe siècle ?

Paul : [voix timide et hésitante]
- Euh...oui, il a écrit La richesse des Nations, c'est ça... ?

Dorothée Balaize :
- Oui, entre autres... Eh bien, Adam Smith a montré que bien que chacun d'entre nous agisse en fonction de ses intérêts, nos actions peuvent néanmoins être compatibles entre elles... Par exemple, lorsque la demande de glace augmente parce que c'est l'été, les prix augmentent, la production augmente, et donc la demande est satisfaite ! L'intérêt de l'un répond à l'intérêt de l'autre...Exemple simple d'autorégulation... Tout se passe comme si nos actions étaient guidées par une sorte de "main invisible", image que l'on doit justement à Adam Smith...

Animatrice :
- Oui ? Professeur Gagnepetit, de la revue Des hauts et des bas, vous souhaitez prendre la parole...

Professeur Gagnepetit :
- Simplement pour citer notre grand économiste Léon Walras qui au XIXe siècle, a établi la formulation mathématique de ce raisonnement. A savoir que sous certaines conditions, les quantités offertes et demandées sont égales sur tous les marchés grâce aux variations de prix. Ainsi, l'économie devrait s'autoréguler sans intervention extérieure... !

Animatrice :
- Sous "certaines conditions", nous avons bien entendu...Professeur ?

Professeur Gagnepetit :
- Oui, tout se passe comme si un "commissaire priseur" fixait les prix pour qu'il y ait un équilibre entre l'offre et la demande sur tous les marchés ... Les crises nous montrent pourtant que cela ne fonctionne pas toujours comme ça. . Par exemple, lorsque le chômage est trop important, car à ce moment là la demande devient trop faible.

Animatrice :
- Et c'est là que John Maynard Keynes intervient, grande dépression des années 30 oblige ? Intervention de l'Etat et politique de relance économique... ?

Dorothée Balaize :
- Là non plus ça ne marche pas toujours car ce n'est pas si simple. Dites-vous, comme l'a montré Robert Lucas, prix Nobel 1995, que de nombreux acteurs économiques savent par exemple parfaitement anticiper la hausse des impôts due à la relance budgétaire et mettent de l'argent de côté au lieu de consommer. Et là : finie la relance de la demande ...
- Aujourd'hui en réalité, les politiques économiques visent à mieux combiner bienfaits de l'autorégulation et de la régulation : laisser faire autant que possible, intervenir si nécessaire ! Il faut tenir compte du contexte de mondialisation qui est le nôtre...

Animatrice :
- Merci beaucoup Paul et à vous, nos trois experts du jour, passons à une autre question...

Jingle de l'émission

Mondialisation
00:00

Jingle de l'émission

Animatrice :
- Bienvenue à tous les auditeurs de Raconte-moi l'éco pour la séquence que nous consacrons à leurs questions. Avantage aux jeunes - ils le valent bien -, nous avons gardé notre élève de 1ère ES en ligne. Paul, vous êtes toujours là... ? Allez-y, posez-votre question...

Paul :
- Oui, c'est à propos de la mondialisation des échanges. Puisque ça semble parfois si compliqué, pourquoi la France par exemple, ne produit pas elle-même tout ce dont nous avons besoin ?

Animatrice :
- Dorothée, rappelons que vous travaillez pour l'Institut européen de l'Economie invincible, je vous laisse répondre...

Dorothée Balaize :
- Concernant les échanges entre Nations, qui se sont particulièrement accélérés au tournant de la révolution industrielle du 19è siècle, les travaux de l'économiste anglais David Ricardo, contemporain de cette époque, répondent en partie à l'interrogation de Paul...

Animatrice :
- Là, vous allez évoquer "l'avantage comparatif" dont Ricardo est le premier théoricien, n'est-ce pas ? Ca, c'est un tantinet complexe. Vous auriez d'abord un exemple ?

Dorothée Balaize :
- Si vous voulez. Eh bien..., imaginons que vous êtes prix Nobel d'économie et qu'un jour, vous découvrez que vous tapez plus vite que votre secrétaire... Aurez-vous intérêt à changer de métier et votre secrétaire, à vous concurrencer dans le vôtre ?! Non, car l'un et l'autre, seriez perdants en termes d'avantage comparatif !

Animatrice :
- Et pour chaque pays, c'est la même chose ?

Dorothée Balaize :
- Oui, selon David Ricardo, tout pays - même en capacité de tout produire - a intérêt à se spécialiser dans les domaines où son avantage comparatif est le plus élevé...

Paul :
- Mais a-t-il intérêt à se spécialiser en fonction d'avantages naturels ? Comme le climat..., les ressources naturelles... ?

Animatrice :
- Dorothée Balaize ?

Dorothée Balaize :
- Oui et non. Bien sûr, au départ, un pays a tout intérêt à tirer parti de ses avantages les plus évidents. Mais pour développer son économie, il peut aussi choisir de se spécialiser dans de nouvelles activités. C'est le cas de pays riches en main d'œuvre tels que la Chine, l'Inde, qui, malgré tout, se spécialisent de plus en plus dans les hautes technologies, comme le Japon et la Corée du Sud avant eux ! Le prix Nobel d'économie 2008, Paul Krugman, explique très bien cette évolution...

Paul :
- Mais face à une concurrence déjà bien entraînée, comment font-ils ?

Animatrice :
- Bonne question, Paul, merci de me la souffler...

Dorothée Balaize :
- Eh bien, ces pays peuvent user de la bonne vieille stratégie de l'économiste allemand Friedrich List au XIXè siècle, celle du "protectionnisme éducateur". Certains pays émergents ne s'en privent pas...

Animatrice :
- Allons bon ! Que voulez-vous dire...

Dorothée Balaize :
- Schématiquement, en attendant d'être en mesure d'affronter la concurrence, le pays développe une nouvelle activité en la protégeant de la concurrence extérieure, par des taxes sur les produits étrangers par exemple ... Mais le pays peut aussi tenter de proposer des produits différents. La concurrence joue aussi sur la variété, la qualité ... pas seulement sur les prix.

Animatrice :
- Cela semble assez clair...Paul, au-revoir, vos collègues auditeurs s'impatientent...

Jingle de l'émission

Entreprise
00:00

Jingle de l'émission

Animatrice :
- Bonjour à tous ceux qui nous rejoignent en cours d'émission. Avant de prendre un nouvel auditeur, une question d'internautes qui revient très souvent.... Elle porte sur le rôle et la place de l'entreprise dans les rouages de l'économie. Alors, Didier Faucher, président de Crédit sans souci, ... l'entreprise : maillon essentiel de l'économie... ?

Didier Faucher :
- Evidemment. Maillon essentiel et même, acteur économique incontournable... !

Animatrice :
- Peut-on donner une définition de l'entreprise ?

Didier Faucher :
- Ah ! Il faut vous dire que celle-ci a beaucoup évolué au fil du temps. Adam Smith, à l'aube de la révolution industrielle, voyait l'entreprise comme un nouveau type d'organisation du travail qui supplanterait peu à peu l'organisation familiale et les corporations de métiers. Selon lui, chacun trouvait dans l'entreprise son propre intérêt puisqu'il y était spécialisé et produisait plus.A16

Animatrice :
- J'entends Karl Marx crier depuis sa tombe... !

Didier Faucher :
- Certes ! Mais là, nous sommes un siècle plus tard, en plein essor industriel et de la division du travail que Marx estimait fondamentalement inégalitaire. Bien que liés par un contrat, les travailleurs n'auraient pas d'autre choix - concurrence oblige - que de dépendre d'un employeur qui lui seul, possède les moyens de production. Production qu'il organiserait au profit de son entreprise, non de ses salariés.

Animatrice :
- Nous avons Claudette au téléphone. Vous êtes vous-même chef d'entreprise, me dit-on dans l'oreillette... ?

Claudette :
- Euh, bonjour. Non, pas tout à fait, je viens de perdre mon emploi...

Animatrice :
- Ah, toutes mes excuses... Posez votre question...

Claudette :
- Je me demandais si on peut faire le parallèle entre le fonctionnement des entreprises et celui des marchés ?

Animatrice :
- Dorothée Balaize ou bien, Didier Faucher..?

Didier Faucher :
- Oui, plus ou moins. Une entreprise, c'est d'abord des employeurs et des salariés. Ils se rencontrent sur le marché du travail où ils négocient un contrat de travail. Mais une fois le contrat de travail signé, le salarié est à la disposition de l'employeur dans les limites de ce contrat. Il doit obéir à la hiérarchie et ne renégocie pas le salaire à chaque tache effectuée ! La relation de travail n'est plus une relation de marché, en quelque sorte. C'est ce que les Nobels de 1991 et 2009 Ronald Coase et Olivier Williamson ont mis en évidence.

Animatrice :
- Oui Claudette, une précision ?

Claudette :
- Alors, il faut comprendre que l'entreprise est un lieu de domination des travailleurs par les employeurs au profit des seuls employeurs ?

Didier Faucher :
- Pas forcément ! Mais c'était la théorie de Karl Marx qui en déduisait qu'une révolution était inévitable à terme.

Animatrice :
- Et sur la paupérisation croissante des salariés dans l'entreprise, les faits lui donnent-t-ils raison ? Dorothée Balaize... ?

Dorothée Balaize :
- Pas nécessairement. L'autrichien Joseph Schumpeter, au début du XXè siècle, constatait que, sur le long terme, croissance et pouvoir d'achat progressaient parallèlement, au gré des innovations réalisées par les entreprises. Les intérêts des travailleurs et des entreprises peuvent donc se rejoindre ...

Animatrice :
- Merci, Madame Balaize. Espérons qu'une entreprise innovante sera très vite intéressée par les talents de notre auditrice Claudette...
- Raconte-moi l'éco, séquence auditeurs, nous vous écoutons... !

Jingle de l'émission

Les classiques
00:00

Journaliste présentateur
Après plusieurs années de crise, certains commentateurs laissent entendre que l’économie finira bien par retrouver, seule, sa stabilité et sa prospérité …
Un point de vue exprimé et défendu, jadis, par le courant des économistes classiques, dont Adam Smith.
Mais peut-on croire en cette manière de voir l’économie après plusieurs années de crise ininterrompue qui ont nécessité des interventions publiques importantes ?
Et tout d’abord, ma chère Anne, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est cette école classique ?

Journaliste spécialisée
Avec plaisir Félix !
Les classiques sont les économistes libéraux anglais et français de la fin du XVIIIe / début du XIXe siècle.

Journaliste présentateur
Et à part Adam Smith, pouvez-vous nous citer quelques autres noms ?

Journaliste spécialisée
Oui, David Ricardo et Thomas Malthus, deux autres Britanniques, ou le Français Jean-Baptiste Say.
Alors ces noms ne vous disent peut-être pas grand-chose et pourtant, ce qu’ils disent sur l’économie est révolutionnaire à l’époque !

Journaliste présentateur
En quoi sont-ils si révolutionnaires ?

Journaliste spécialisée
Eh bien même s’ils vivent à une époque où toutes les relations sociales et politiques sont très réglementées, ils croient fermement qu’il faut laisser chacun acheter et vendre ce qu’il veut et comme il veut. Chacun va alors se spécialiser dans la tâche qu’il sait le mieux réaliser, et tout le monde en bénéficie.
Comme si une « main invisible » poussait les personnes qui agissent au nom de leur intérêt personnel à faire ce qui est bon pour tous !

Journaliste présentateur
Une sorte de gagnant-gagnant ?!

Journaliste spécialisée
Si vous voulez… !
Et ces économistes montrent qu’il en est de même pour les échanges entre deux pays. Leurs idées ont d’ailleurs été reprises par les partisans de la liberté des échanges ... jusqu’à aujourd’hui !
Et oui Félix, on oublie souvent de dire que la mondialisation a pris une ampleur inédite dès le XIXe siècle…

Journaliste présentateur
Je vois… Il faut « laisser faire » et « laisser passer ».
Mais quel est le rôle de l’État alors ?

Journaliste spécialisée
Nos 4 classiques considèrent que l’État a, avant tout, pour mission de fournir un cadre favorable à ces échanges.
Pour eux, il doit d’abord produire des services qui bénéficient à tous comme la police, la justice, la défense.
Mais pour certains d’entre eux, cela concerne aussi des domaines où l’État intervenait peu à l’époque, comme l’éducation et les transports.

Journaliste présentateur
Bien.
Donc, ils ne sont pas d’accord sur tout ?

Journaliste spécialisée
J’y venais justement…
Là où le français Jean-Baptiste Say était convaincu que c’est l’utilité d’un bien qui détermine sa valeur, Smith et Ricardo pensaient que la valeur d’un bien dépend de la quantité de travail nécessaire pour le produire dans des conditions normales de production à une époque et dans un pays donnés. C’est ce qu’ils appelaient la valeur travail.
En d’autres termes, plus un bien nécessite de travail pour être produit, plus ce bien coûte cher, et donc, plus son prix est élevé.

Journaliste présentateur
CQFD ! Mais pourquoi est-ce si important ?

Journaliste présentateur
Vous allez voir …
Smith et Ricardo savent bien qu’il ne faut pas que du travail pour produire des objets.
Il faut aussi des machines, des bâtiments, ce que les économistes appellent du capital. Mais également du travail pour produire tout ça.
Au final, il faut payer les travailleurs, bien sûr, mais aussi les propriétaires de ce capital. D’où l’importance de faire des profits.

Journaliste présentateur
Ah, salaires et profits : un débat toujours actuel !

Journaliste spécialisée
Exactement.
En s’intéressant aux raisons qui font qu’un objet vaut plus qu’un autre, les classiques ont aussi concentré leur attention sur la répartition de cette valeur, particulièrement entre salaires et profits.
L’équilibre est fragile : il faut des profits pour acheter des machines ; mais il faut aussi des salaires pour que les travailleurs puissent satisfaire des besoins essentiels comme la nourriture ou le logement …

Journaliste présentateur
Euh … On n’est pas loin de Marx, là, non ?

Journaliste spécialisée
Pas vraiment Félix.
Même si Marx s’est directement inspiré de Ricardo pour développer sa pensée, n’oublions pas que les classiques sont des libéraux et que, pour eux, il est toujours préférable de laisser faire plutôt que de contraindre !

Journaliste présentateur
Ceci est une autre histoire effectivement…
Merci Anne… !
Bien sûr, ranger les économistes dans des cases n’est pas toujours simple.
Pour approfondir ce sujet, nos auditeurs peuvent aussi explorer la fresque interactive, écouter d’autres émissions et consulter les fiches sur les auteurs.

Les néoclassiques
00:00

Journaliste présentateur
Imaginons qu’on raisonne en économie un peu comme en physique, avec des outils mathématiques.
Forcément, cela implique de simplifier beaucoup ce que sont les individus dans la réalité. Oubliées les pulsions incontrôlables, bonjour les décisions rationnelles …
Est-ce réaliste, Anne ?

Journaliste spécialisée
C’est effectivement le projet qu’ont développé des économistes à partir de 1870, à la suite des travaux du français Léon Walras, de l’anglais Stanley Jevons et de l’autrichien Carl Menger.

Journaliste présentateur
Et cette approche a un nom ?

Journaliste spécialisée
Oui. On appelle ce courant « né – o - classique », pour le distinguer du courant « classique ».

Journaliste présentateur
Bon, « classiques », « néoclassiques »…
II y a quand même plus qu’une syllabe de différence entre les 2 courants ?

Journaliste spécialisée
Évidemment oui !
Au point de départ, ils posent un postulat : nous sommes rationnels, Cela signifié que nous utilisons au mieux les moyens dont nous disposons pour atteindre un objectif. Par exemple : être heureux !

Journaliste présentateur
Et alors ?

Journaliste spécialisée
Cela permet aux néoclassiques de reprendre certaines des conclusions des classiques, et de les démontrer mathématiquement.

Journaliste présentateur
Par exemple ?

Journaliste spécialisée
Eh bien, ils montrent que si deux personnes échangent librement, c’est forcément bénéfique pour chacune. Il faut donc laisser ces échanges se développer pour que chacun puisse améliorer son bien-être sans dégrader celui des autres.

Journaliste présentateur
Ce n’est pas un peu idéaliste comme point de vue ?

Journaliste spécialisée
Pas tant que ça en fait.
Tenez, regardez ce qui se passe quand l’été est pluvieux.

Journaliste présentateur
Je… je ne vois pas le rapport…

Journaliste spécialisée
C’est pourtant simple, comme chacun a besoin de se protéger de la pluie, la demande en parapluie augmente !

Journaliste présentateur
Oui là, jusque-là je vous suis !

Journaliste spécialisée
Comme on est en été, il n’y a pas assez de stock pour tout le monde…
Les prix augmentant, cela devient encore plus avantageux de produire des parapluies pour satisfaire la demande.
Du coup, à l’autre bout de la chaîne, les fabricants de parapluie qui ont compris qu’il y a moyen de gagner un peu d’argent, décident d’augmenter la fabrication de parapluie.

Journaliste présentateur
Résultat…

Journaliste spécialisée
Résultat personne n’impose de produire plus, et pourtant, c’est bien ce qui se passe…C’est ce qu’on appelle l’ « autorégulation » de l’économie.

Journaliste présentateur
Si je comprends bien, c’est la modification des prix qui incite les producteurs à répondre à cette demande.

Journaliste spécialisée
Tout à fait. On doit à Alfred Marshall d’avoir formalisé comment fonctionne un marché, c’est-à-dire là où se rencontrent les acheteurs et vendeurs. Les prix de chaque produit changent en fonction des intentions d’achat et de vente : l’offre et la demande !

Journaliste présentateur
Ca ressemble encore beaucoup aux classiques !

Journaliste spécialisée
Oui … et non ! Cette histoire de parapluie illustre que ce n’est pas la quantité de travail seule qui détermine le prix d’un bien comme le défendaient les classiques… mais plus globalement les coûts de production, et aussi l’utilité, autrement dit la satisfaction que les consommateurs attendent de ce bien.

Journaliste présentateur
D’accord mais… qu’est-ce que ça change au fond ?

Journaliste spécialisée
Et bien cela permet de mieux expliquer que la valeur que prennent les choses dépend des préférences de chacun.

Journaliste présentateur
Pour en revenir à aujourd’hui, est-ce vrai qu’une grande partie des économistes actuels raisonnent comme les néoclassiques !?

Journaliste spécialisée
C’est exact, car les néoclassiques ont développé une approche « micro-économique », qui permet d’expliquer les comportements individuels.
Depuis, d’autres économistes ont cherché à avoir une vision plus globale, c’est-à-dire « macro-économique », tout en partant des comportements individuels. C’est le cas de Milton Friedman, suivi ensuite par Robert Lucas et Thomas Sargent, tous trois prix Nobel d’économie.

Journaliste présentateur
Et en quoi cette vision plus globale est-elle différente ?

Journaliste spécialisée
Friedman, Lucas et Sargent ont creusé cette idée de Keynes selon laquelle notre représentation du futur change nos comportements présents… mais ils en concluent que les politiques économiques sont inefficaces quand les agents les anticipent.
Par exemple, si l’État décide de dépenser plus, vous allez anticiper la hausse des impôts et moins dépenser.

Journaliste présentateur
Donc l’État ne doit rien faire ?

Journaliste spécialisée (comédienne)
Cela dépend ! La plupart des néoclassiques préconise aussi la régulation quand les personnes prennent des décisions individuelles qui ont des effets négatifs sur les autres, par exemple, sur l’environnement.

Journaliste présentateur (comédien)
Merci Anne… ! Bien sûr, ranger les économistes dans des cases n’est pas toujours simple. Pour approfondir ce sujet, nos auditeurs peuvent aussi explorer la fresque interactive, écouter d’autres émissions et consulter les fiches sur les auteurs.

L'influence de Keynes
00:00

Journaliste présentateur
Dans un contexte de crise économique durable, même les plus libéraux peuvent s’interroger :
les acteurs économiques sont-ils capables d’inverser, seuls, la tendance… ?
… ou bien les États doivent-ils intervenir ?
Anne, n’est-ce pas la même question qui s’est posée après le grand krach boursier de 1929 ?

Journaliste spécialisée
Hé bien si Félix… !!
La dépression des années 30 est à ce point profonde qu’elle remet en cause l’idée que le marché est généralement efficace comme le soutiennent les néoclassiques…

Journaliste présentateur
Que s’est-il passé ?

Journaliste spécialisée
Et bien John Maynard Keynes, un économiste britannique, s’est chargé d’expliquer cela.

Journaliste présentateur
Et que dit-il précisément ?

Journaliste spécialisée
Keynes ne croit pas que les agents économiques soient capables de prendre, seuls, des décisions permettant de sortir de la crise. Il a cette conviction que l’économie de marché a besoin d’être stabilisée par des interventions de l’État.

Journaliste présentateur
Comment arrive-t-il à ces conclusions ?

Journaliste spécialisée
Eh bien, il pense qu’il faut avoir une vision globale de l’économie, et ne pas se contenter d’analyser les comportements individuels.
Or, selon Keynes, seuls les États sont en mesure d’avoir cette vision macroéconomique !

Journaliste présentateur
Et ils ne se trompent jamais ?

Journaliste spécialisée
Justement, Keynes pense que ce qui complique un peu tout, c’est que les décisions de ceux qui font l’économie (vous, moi, les entreprises, les États…) sont influencées par l’idée qu’ils se font du futur, c'est-à-dire leurs anticipations.

Journaliste présentateur
Et alors !?

Journaliste spécialisée
Et alors, Keynes en tire la conclusion que nos comportements individuels peuvent avoir des conséquences négatives pour le bon fonctionnement des marchés

Journaliste présentateur
Vous… avez un exemple pour illustrer cela, Anne ?

Journaliste spécialisée
Bien sûr…
Si les émotions et sentiments des employeurs sont trop pessimistes sur l’activité à venir (Keynes parlait d’ « esprits animaux »), alors ils embauchent peu, et augmentent peu les salaires de peur de ne pas pouvoir les payer.

Journaliste présentateur
Résultat…

Journaliste spécialisée
… résultat les travailleurs consomment moins, ils mettent de l’argent de côté et, donc, la croissance de l’économie est faible.

Journaliste présentateur
Oui ça paraît logique.

Journaliste spécialisée
Oui, et l’ironie de l’histoire c’est que la vision pessimiste de l’avenir finit par se traduire dans les faits. Elle devient, en quelque sorte, « auto-réalisatrice ».

Journaliste présentateur
Et il n’y a rien à faire contre ça ?

Journaliste spécialisée
Dans le cas de la grande dépression des années 1930, Keynes propose que l’État relance l’activité et l’emploi en augmentant ses dépenses ou en baissant ses impôts car la demande est insuffisante. Selon lui, l’intervention de l’État conduit à un réglage fin de l’économie permettant de favoriser et stabiliser la croissance.

Journaliste présentateur
Et tout est bien qui finit bien !?

Journaliste spécialisée
Pas toujours, non. Pour Keynes, quand la demande est soutenue, il y a de la croissance et, peut-être un peu d’inflation, c’est-à-dire une hausse des prix. Mais si l’offre ne suit pas, comme après un choc pétrolier, tout se dérègle. Dans les années 1970, la relance dégénère en hausse des prix sans stimuler la croissance …

Journaliste présentateur
Et aujourd’hui ? Que reste-t-il de Keynes si je puis dire ainsi …

Journaliste spécialisée
Et bien les héritiers de la théorie keynésienne se partagent entre post et néokeynésiens …

Journaliste présentateur
Et, qu’est-ce qui les distingue ?

Journaliste spécialisée
Les post-keynésiens, comme Joan Robinson, sont fidèles à un projet plus radical, en rupture avec les néoclassiques. Alors que les néokeynésiens, eux, défendent les idées de Keynes avec les outils théoriques des néoclassiques.
Parmi eux, il y a Joseph Stiglitz et Paul Krugman, deux économistes très présents dans les journaux et les débats publics et qui ont tous les deux reçus le prix Nobel d’économie.

Journaliste présentateur
La théorie de Keynes doit donc avoir une certaine influence sur la pensée économique actuelle !?

Journaliste spécialisée
C’est juste !
Par exemple, plus personne ne remet en cause la nécessité d’avoir une vision globale de l’économie et l’importance des facteurs d’anticipation.

Journaliste présentateur
Une unanimité rare non !?

Journaliste spécialisée
Oui, mais en trompe l’œil !
D’ailleurs, lorsque Milton Friedman, un néoclassique convaincu, déclarait « nous sommes tous des keynésiens »… ; il s’empressait aussitôt d’ajouter que, selon lui, plus personne n’accepte les conclusions de Keynes même si nous utilisons tous ses concepts et son cadre d’analyse !!!

Journaliste présentateur
Merci Anne… !
Bien sûr, ranger les économistes dans des cases n’est pas toujours simple.
Pour approfondir ce sujet, nos auditeurs peuvent aussi explorer la fresque interactive, écouter d’autres émissions et consulter les fiches sur les auteurs.

Le courant marxiste
00:00

Journaliste présentateur
Karl Marx vit dans le siècle qui suit la Révolution française, suivie d’autres révolutions comme celles de 1848 qu’il a vécues et analysées.
Il en ressort convaincu que le cours de l’histoire n’est pas guidé par des idées comme la liberté ou l’égalité, mais par les conditions de vie de ses acteurs. Philosophe de formation, il devient donc aussi sociologue et économiste !
Voyant l’essor du capitalisme comme un progrès ayant permis à l’ouvrier d’obtenir la liberté fondamentale de vendre son travail à n’importe quel employeur, Marx ne donne toutefois pas cher de ce capitalisme dont il prédit qu’il court à sa perte.
Pourtant, aujourd’hui, Marx est mort alors que le capitalisme lui, est encore bien vivant.

Journaliste spécialisée
Comme vous y allez Félix…
…Marx n’a jamais prédit que le capitalisme mourrait de son vivant…

Journaliste présentateur
Bon, d’accord Anne…
…mais que voulait-il dire alors !?

Journaliste spécialisée
Avant de vous expliquer, j’aimerais vous rappeler ce qu’est le courant marxiste.

Journaliste présentateur
Je vous écoute !

Journaliste spécialisée
D’abord, sachez que Marx est un bon observateur de la pensée économique dont il s’inspire pour nourrir sa propre réflexion.

Journaliste présentateur
Et alors !?

Journaliste spécialisée
Et alors, il a lu et apprécié la rigueur de l’analyse économique de Ricardo un des tenants du courant classique.
Marx l’a tellement bien lu d’ailleurs, qu’il la reprend à son compte.
En particulier la théorie de la valeur travail…

Journaliste présentateur
C’est à dire ?

Journaliste spécialisée
Lorsque Ricardo affirme que la valeur d’un bien provient de la quantité de travail nécessaire pour le produire, Marx confirme mais en tirant une conclusion bien à lui.
Il conclut que les travailleurs sont exploités puisqu’une partie de la valeur qu’ils produisent ne leur revient pas !

Journaliste présentateur
Effectivement, ce n’est pas la même chose…

Journaliste spécialisée
La conclusion de Marx est alors sans appel.
Pour que les travailleurs puissent avoir le contrôle de ce qu’ils produisent, il n’y a qu’une solution : s’approprier les moyens de production !

Journaliste présentateur
C’est presque les fondements d’un projet politique !?

Journaliste spécialisée
Absolument Félix…
Marx va au-delà des considérations morales chères aux premiers socialistes « utopistes » comme Proudhon.
Il a l’ambition de donner naissance à un projet politique fondé sur une analyse rigoureuse de l’économie qui le conduit à cette conclusion : un système qui repose sur la propriété privée ne peut pas fonctionner à long terme.

Journaliste présentateur
La voilà ma réponse !
Marx a bien prédit l’effondrement du système… mais sans préciser à quel moment cela se produirait, ni, dans le détail, ce qui en ressortirait.

Journaliste spécialisée
Vous avez de la suite dans les idées vous…!
Pour aller dans votre sens, sachez que les premiers héritiers de Marx ne disent pas autre chose. Ils affirment que le crédit bancaire ou la colonisation sont des sortes de béquilles qui ne font que retarder l’effondrement inéluctable du capitalisme.
D’autres se sont réclamés de Marx pour imaginer la suite, par exemple à partir d’octobre 1917 en Russie …

Journaliste présentateur
Oui, du Marxisme au communisme …
Mais tout de même, Anne, le courant marxiste n’a-t-il pas évolué depuis la disparition de son fondateur… Par exemple, même le plus marxiste des économistes ne peut pas nier que le niveau de vie des ouvriers a nettement progressé depuis le XIXème siècle de Marx !?
Et le capitalisme a connu des crises, mais il ne s’est pas effondré !

Journaliste spécialisée
C’est vrai.
C’est pour cela que des marxistes réformistes pensent qu’il pourrait être intéressant d’essayer de réformer le capitalisme en adaptant ses structures…

Journaliste présentateur
Et, qu’aurait pensé Marx de cette évolution ?
Serait-il resté fidèle à l’idée de révolution, ou se serait-il converti à celle de réforme ?

Journaliste spécialisée
Vous savez ce qu’on dit Félix !
On ne fait pas parler les morts…

Journaliste présentateur
Merci Anne… !
Bien sûr, ranger les économistes dans des cases n’est pas toujours simple.
Pour approfondir ce sujet, nos auditeurs peuvent aussi explorer la fresque interactive, écouter d’autres émissions et consulter les fiches sur les auteurs.

Les institutionnalistes
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Journaliste présentateur
Quand on prend un café dans un bar, cela se passe souvent comme ça :
Ayant amené la commande, le serveur pose l’addition sur la table puis repart. Un peu plus tard, lorsqu’on quitte le bar, on se contente de poser l’argent sur la table sans craindre qu’il soit volé !
Dites-moi Anne, il doit bien y avoir une explication à tout cela ?

Journaliste spécialisée
Oui, bien sûr ! Mais je ne vais pas vous parler psychologie. Nous allons parler des institutions et du courant de pensée institutionnaliste.

Journaliste présentateur
Des institutions ?
Alors là, je vois pas le rapport… mais je vous écoute !

Journaliste spécialisée
Et bien jusqu’à la toute fin du XIXème siècle, le courant néoclassique, courant majoritaire parmi les économistes, ne cherche pas trop à expliquer le cadre dans lequel se font les échanges.
Les institutionnalistes parmi lesquels Thorstein Veblen, un économiste américain au début du 20e siècle, développent alors une approche pour expliquer ce cadre.

Journaliste présentateur
Où voulez-vous en venir exactement ?

Journaliste spécialisée
Pour les institutionnalistes, nous sommes entourés de règles qui donnent un cadre à tous nos échanges… Règles dont nous oublions jusqu’à l’importance tellement elles semblent aller de soi.

Journaliste présentateur
Des règles … Vous avez un exemple concret, Anne ?

Journaliste spécialisée
« Tu ne voleras pas » ! Comme l’argent de votre café, tout à l’heure …
Cette règle tirée des 10 commandements est un exemple d’institution portée par un groupe. Elle fait référence au droit de propriété.

Journaliste présentateur
Un autre exemple, Anne !?

Journaliste spécialisée
Les institutions peuvent aussi être des organismes mis en place par le pouvoir politique comme les tribunaux.

Journaliste présentateur
Comment ces règles ou…institutions naissent-elles ?

Journaliste spécialisée
Comme les habitudes ou les coutumes, les règles sont le fruit de l’Histoire. Elles évoluent en fonction des relations humaines, du niveau de développement des sociétés…

Journaliste présentateur
Et quelle est l’influence de ces institutions sur l’économie ?

Journaliste spécialisée
Et bien ces institutions forment un ensemble qui est plus ou moins favorable à la croissance, mais aussi au progrès social, selon les périodes. C’est ce qu’ont voulu montrer des économistes français, regroupés dans un courant qu’on appelle « l’école de la régulation ».

Journaliste spécialisée
Les institutionnalistes sont donc aussi un peu des historiens ?

Journaliste spécialisée
Oui. C’est le cas de quelqu’un comme Karl Polanyi, un hongrois qui applique cette approche institutionnaliste en remontant très loin dans l’histoire. Pour lui, l’économie est, selon ses propres termes, toujours plus ou moins « encastrée » dans des institutions sociales et politiques.
Par exemple, pas d’échanges sans confiance, et sans un cadre qui la favorise.

Journaliste présentateur
Dites donc Anne ?
Ne seriez-vous pas sur le point de répondre à ma question du début, vous savez, celle avec mon histoire de café ?

Journaliste spécialisée
Absolument Félix, pas d’économie sans confiance puisqu’on ne peut pas interagir avec les autres sans prendre un minimum de risque.
Si le garçon de café ne vous rend pas la monnaie qu’il vous doit, ce n’est pas très grave : vous irez ailleurs la prochaine fois. Pour le patron du café, ça l’est plus, car il vend des milliers de cafés tous les jours !

Journaliste présentateur
Il peut changer de garçon de café !

Journaliste spécialisée
Oui. Mais trouver un bon garçon de café prend du temps. Et le temps … c’est de l’argent.
C’est comme cela que ceux qu’on appelle les « néo-institutionnalistes », Ronald Coase et Oliver Williamson, expliquent l’apparition des entreprises et des contrats de travail.

Journaliste présentateur
Et pourquoi ceux-là sont-ils des « néo-institutionnalistes », et pas juste des « institutionnalistes » ?

Journaliste spécialisée
Ce sont des « néos », comme les « néo-classiques », car ils en reprennent les méthodes de travail.
On part des situations des personnes, des coûts et avantages de leurs décisions, et c’est comme cela qu’on explique l’apparition des institutions, qui sont là pour minimiser les coûts et maximiser les avantages !

Journaliste présentateur
Et il y a des applications concrètes de cette belle théorie ?

Journaliste spécialisée
Bien sûr. Je peux vous citer Elinor Ostrom, par exemple, qui appartient aussi au courant néo-institutionnaliste et qui est la première femme à avoir reçu le prix Nobel d’économie.
Avec cette méthode, elle a étudié comment sont gérées localement des ressources rares et partagées comme les pâturages ou l’eau potable, pour éviter qu’elles soient surexploitées. Des ressources qu’elle appelle les « biens communs ».

Journaliste présentateur
L’économie est donc aussi un monde de règles !
Merci Anne…
Bien sûr, ranger les économistes dans des cases n’est pas toujours simple.
Pour approfondir ce sujet et aussi en savoir plus sur les approches renouvelées comme celle des néo-institutionnalistes, nos auditeurs peuvent explorer la fresque interactive, écouter d’autres émissions et consulter les fiches sur les auteurs.

Les approches renouvelées
00:00

Journaliste présentateur
Anciens ou nouveaux ? Gauche ou droite ?
En économie comme dans la vie, la tentation est grande de toujours ranger les économistes dans une case. Untel revendique son appartenance au courant néoclassique et est donc forcément libéral ; un autre se dit keynésien et est donc plutôt pour l’intervention de l’État.
Pourtant, l’histoire et la complexité du fonctionnement de l’économie nous incitent à plus de prudence.
N’est-ce pas Anne ?

Journaliste spécialisée
C’est vrai qu’il existe tout un tas d’approches nouvelles ou renouvelées qui ne réduisent plus l’analyse économique à un match entre keynésiens et néoclassiques.

Journaliste présentateur
Vous avez un exemple ?

Journaliste spécialisée
Bah, tenez : comment avez-vous choisi votre coiffeur ? Son salon est près de votre domicile, ou sur la route de votre travail ? Est-ce que vous avez essayé tous les coiffeurs de votre quartier ?

Journaliste présentateur
Bah euh, bien sûr que non ! Je vais chez le même coiffeur depuis 5 ans.

Journaliste spécialisée
Et bien pour l’économiste Herbert Simon, cela montre que notre rationalité, c’est-à-dire les bonnes raisons que nous avons pour prendre nos décisions, est limitée par les informations dont nous disposons.

Journaliste présentateur
Et comment les économistes peuvent-ils savoir les raisons qui me poussent à décider ceci ou cela ?

Journaliste spécialisée
En observant la rationalité des comportements de personnes participant à des expériences en laboratoire. C’est ce qu’on appelle l’économie expérimentale.
Daniel Kahneman, un psychologue américano israélien, s’est vu décerner un Nobel d’économie pour avoir montré que les individus sont influencés, entre autres choses, par des sentiments de justice ou d’injustice...

Journaliste présentateur
Hum… Je comprends…
Mais si nos décisions étaient toutes rationnelles, les résultats collectifs seraient-ils forcément meilleurs pour autant ?

Journaliste spécialisée
Alors pour répondre à cette question, il faut voir l’économie comme un jeu dans lequel les acteurs agissent en fonction des actions supposées des autres acteurs. C’est ce qu’a fait John Nash dans une autre approche qu’on appelle la théorie des jeux.

Journaliste présentateur
Et c’est sérieux ?

Journaliste spécialisée
Bien sûr ! Imaginez qu’un coiffeur cherche à ouvrir un salon de coiffure dans une ville. Il voudra s’installer en centre-ville parce que ça permet de toucher le plus grand nombre de clients.

Journaliste présentateur
Oui cela peut être un bon calcul sauf si plusieurs autres coiffeurs raisonnent de la même manière…

Journaliste spécialisée
Exactement, s’ils raisonnent tous ainsi, ils se feront tous concurrence, et leurs clients devront se déplacer au centre-ville pour se faire coiffer.

Journaliste présentateur
Une solution pas vraiment satisfaisante, en effet !
De ce que je comprends, cette histoire de rationalité n’est donc pas si simple que ça.

Journaliste spécialisée
En effet. Le renouvellement des approches en économie consiste justement à remettre en cause des idées de départ simples, comme la rationalité, pour aller vers des théories plus réalistes.

Journaliste présentateur
D’accord. Mais plus généralement, l’économie d’aujourd’hui n’a déjà plus grand-chose à voir avec celle du 20e siècle. Les approches renouvelées ont-elles quelque chose à dire là-dessus ?

Journaliste spécialisée
Oui. Par exemple, la finance a pris une ampleur sans précédent, et des économistes comme Tobin et Merton décortiquent son fonctionnement. Le premier est d’ailleurs à l’origine d’une idée de taxe sur les transactions financières pour stabiliser la finance. Vous en avez peut-être entendu parler…

Journaliste présentateur
Réguler la finance, donc. Certains parlaient même de « moraliser le capitalisme » après la crise de 2008 …

Journaliste spécialisée
Vous ne croyez pas si bien dire ! Pour l’économiste indien Amartya Sen, l’économie est une science morale qui doit se poser des questions sur les buts de l’activité économique. Il s’agit d’élargir les possibilités offertes à chacun. Ça passe par la richesse, mais pas seulement, la santé et l’éducation également. On parle d’économie du bien-être.

Journaliste présentateur
Comme on dit… L’argent ne fait pas le bonheur, en tous cas pas tout seul… Merci Anne ! Bien sûr, ranger les économistes dans des cases n’est pas toujours simple.
Pour approfondir ce sujet, nos auditeurs peuvent aussi explorer la fresque interactive, écouter d’autres émissions et consulter les fiches sur les auteurs.